Un recueil de textes sur les âmes giflées par l'existence.
40 textes courts, 40 personnages
40 tranches de vie, 40 réflexions
... Des petits bouts d'existence, des morceaux de gens, de vieux souvenirs, quelques regrets, d'épouvantables douleurs, de lourds constats, une poignée d'actes manqués, des désillusions par paquet, des coups de gueules, des colères sourdes, d'autres implacables, des laissés-pour-compte, des opprimés, de beaux espoirs et bien entendu des jours meilleurs...
Car si ce recueil est loin d'être un feel good, il n'en reste pas moins un Sacha Stellie.
L’odeur de mon père
***
Il sentait les pins, le poivre et le vétiver
Il sentait l’éloquence, l’intelligence et les souvenirs amers
Il sentait la tendresse, l’empathie et la dérision
Il sentait le présent, la rancune et l’abandon
J’aimais tant me retrouver seule avec lui
Me blottir contre son flanc sur le divan en catimini
Respirer son parfum piquant et délicieux
Que sa femme ne vienne pas, j’implorais les cieux
Il sentait le cuir des nouvelles berlines, la vitesse et les hautes cimes
Il sentait les compromis, la douceur et les surnoms jolis
Il sentait l’humour, la vivacité d’esprit et celui d’analyse
Il sentait la solitude, la fatigue et l’emprise
J’aimais tant l’écouter fredonner sans ne plus penser à rien
Ces airs galvaudés de chanteurs italiens
Installée à ses côtés dans ses belles voitures
Je le regardais oublier un instant ses maudites blessures
Il sentait la garrigue et le sable brûlant de méditerranée
Il sentait la joie de vivre et le besoin d’être aimé,
Il sentait la peur du conflit, l’évitement et l’absence de pardon
Il sentait les plaies d’injustice, le désir d’oubli et l’incompréhension
J’aimais tant l’écouter raconter
L’admirer subjuguer toute une assemblée
J’aurais donné n’importe quoi pour qu’il me voie
Savoir lui plaire, afin qu’il soit, comme je l’étais, infiniment fier
Il sentait la neige, les soirs d’hiver et le bois brûlé
Il sentait Paris, les grandes tables et les nuits étoilées
Il sentait la culture, la réussite et le silence
Il sentait la générosité, le charisme et la fatalité
J’aimais nos tête-à-tête dans ses brasseries bondées
Ces bonheurs fugaces, trop rares, souvent volés
Je buvais ses mots et son vin choisis avec soin
En maudissant tout bas ce cruel destin
Aujourd’hui encore, tu demeures ce magnifique héros sur ton cheval blanc
A l’odeur unique, sublime de cèdre et de vent
Toi, tu sembles heureux dans tes lointaines contrées
Et j’ai décidé de croire, que quelque part, tu m’as toujours aimée... »
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Découvrez un autre extrait :
Les mots de Toi
Il y eut les genoux écorchés
Les tartines au goûter
Les bancs d'écoliers
Les ratures dans les cahiers
Les poupées boudées
Les nouvelles amitiés
L'entrée au lycée
Le bal de fin d'année
Le premier baiser
Il y eut l'amoureux un, l'amoureux deux et puis l'amoureux trois
Celui qu'on présente, celui de la première fois
Les études, les diplômes, la robe de mariée
Une avenue bien droite comme un trait tiré
L'enfant un, l'enfant deux et puis l'enfant trois
Les projets, les crédits et le nouveau toit
Les vacances, les maladies et puis les soucis
La fatigue, l'habitude, la monotonie
Et puis, un soir de novembre, sans prévenir, il y a eu Toi.
Il y eut l'attente, l’espérance, les nouveaux frissons
La bataille entre l'âme et ma faible raison
L'impatience, le désordre, partout dans nos vies
Des bourrasques, des naufrages et mille alibis
Des nuits blanches, de la fièvre et l'envie de fuir
D'être libre et de vivre sans économie
Tes mots, ta peau, nos respirations
Ton souffle, ta bouche et ma perdition
Et puis, un jour de janvier, tu t'en es allé
Il y eut le désespoir, le froid, l'insupportable de l'abandon
Le manque, abject, cette abomination
Un vide inouï, qu'étais-je sans Toi ?
Une vie, sans vie, une sombre agonie
Plus de loyale épouse ni de mère louve
Seulement ce monstre pervers
Egoïste et cruel, capable de tout
Livide, acide, à les rendre fous
Et puis un matin de mai, il y eut une lettre de Toi
Elle disait tes regrets, tes mots bleus, tes mots doux
Tous ces jours sans moi, arides, stériles, inutiles
Et ces nuits sans fin où tout ton être appelait le mien
Et mon cœur, ce traitre, a tout pardonné
En quelques lignes seulement, a tout oublié
Ses battements affolés ont repris leur danse
Et la femme possédée a ressuscité
Un soir d’été, pendant le bal du 14 juillet
J’ai griffonné un mot sur la console de l’entrée et les ai abandonnés
Il y eut la course folle, fantastique, effrénée
Les hôtels, les bords de mer, les pins parasols
Nos regards au réveil, nos corps emmêlés
Ces envies de toujours, les promesses d’éternité
Le bonheur en rafale, en cascade, sans discontinuer
Indécent, enivrant, à la lisière de la violence
Ton insouciance et ma totale absence de culpabilité
Je n’étais plus moi, je n’étais plus que Toi
Et puis, l’automne est arrivé et tout comme l’été, une fois encore, tu t’en es allé
Il y eut la gifle, le vide, la stupeur
Le refus, la terreur, l’épouvantable douleur
La rage sourde et la terrible vérité
A la honte, le dégoût a succédé
Le goût de mort, le goût de sang
Et puis plus rien… Les couloirs blancs
Les miens sont alors venus me chercher
Ce mari et ces trois enfants que j’avais saccagés
Ils m’ont ramenée contre mon gré, dans ce lieu qui à présent m’était étranger
Il y eut d’abord l’amour, la douceur, la patience
Et puis, face à la force mon chagrin, face à la lourdeur de mes silences
Les pourquoi, les reproches et les cris,
Les mots durs, les mots crus, les mots terribles
Les absurdes, les irréparables, ceux qui ne devraient jamais être dits
Je n’existais plus, je ne mangeais plus, je ne parlais plus
Mon corps n’était que cendres et mon cœur pierre
J’attendais. J’attendais, car je savais qu’ils viendraient,
Ces terribles quelques mots de Toi
Il y eut la lenteur des jours, le poids des semaines
Les feuilles mortes et puis la neige
Les flambées dans la cheminée, les rhumes des enfants
Les voisins, les amis, les parents
Les guirlandes et la dinde de Noël
Leur œil inquisiteur sur l’horrible criminelle
Mes épaules affaissées et frêles,
Mon regard voilé, mes espoirs perdus
Et puis les mots contenus, bâillonnés, tus
Il y eut les premiers bourgeons et le chant nouveau des oiseaux
Je me suis remplumée, ai commencé à prononcer
Quelques syllabes, juste murmurées
Je me suis levée, puis habillée,
Suis allée à la fenêtre puis au marché
J’ai ouvert les cahiers, soigné les genoux écorchés
Fais des tisanes, des gaufres, des hachis parmentier
J’ai de nouveau inspiré l’air, senti le soleil et vu le ciel
Me suis faite jolie et un matin de juin, j’ai embrassé mon mari
Et puis les mots de Toi sont arrivés et tout a recommencé.
Sacha Stellie